Histoire

Mystère à Esbly : le pendu dont les pieds touchaient terre

Début 2023, le journaliste d’Europe 1 Christophe Hondelatte avait déterré une affaire criminelle arrivée à Esbly en 1888. On vous la raconte.

Le 9 mars 1888, les gardes d’un bois d’Esbly font une découverte troublante : au pied d’un arbre, ils trouvent le corps d’un homme. Une corde est passée autour de son cou, mais ses pieds touchent encore le sol, et l’homme est attaché contre le tronc.
Ne sachant rien de cet individu et considérant la scène comme un suicide, les gendarmes n’ouvrent aucune enquête. Le corps est enterré dans la fosse commune du cimetière d’Esbly, et l’affaire est close.

À Paris, une disparition inquiétante

Au même moment, à Paris, Mme Oudin est à la recherche de son mari, disparu depuis le 8 mars. L’homme, ancien balayeur à la mairie de Paris récemment licencié, devait se rendre dans la région de Meaux pour occuper un poste de régisseur. Il avait pris un train en gare de l’Est le matin de sa disparition.

Les policiers parisiens, peu concernés, accueillent avec lassitude les inquiétudes de la femme. Mais Mme Oudin insiste : selon elle, l’homme qui avait trouvé le prétendu emploi pour son mari, un certain Matelin, l’a tué pour lui voler son argent.
Car M. Oudin transportait 500 francs, somme censée servir de caution pour obtenir la place de régisseur — du moins, selon les dires de Matelin.

La police n’y croit pas un instant et refuse de s’intéresser à Matelin.

On apprendra pourtant que, dès le lendemain de la disparition, Matelin avait déposé de l’argent dans un garni mal famé, où il devait déjà des sommes.

(Un garni était une chambre meublée louée à bas prix dans une maison ou un immeuble populaire, souvent à la journée ou à la semaine)

Un inspecteur accepte de mener l’enquête

Sur les conseils d’une voisine, Mme Oudin contacte un policier de la Sûreté. Celui-ci, contre une pièce, accepte de jouer les détectives privés.

Il découvre rapidement que :

  • c’est bien Matelin qui avait parlé à Oudin d’une caution de 500 francs,
  • les deux hommes ont pris le même train en gare de l’Est, le 8 mars au matin,
  • ils sont arrivés ensemble à Esbly vers 11h.

Sur place, l’inspecteur apprend l’existence du pendu inconnu découvert la veille. Il fait déterrer le corps : il s’agit de M. Oudin.

Face à ce qui apparaît comme un meurtre, l’inspecteur transmet l’affaire à la Sûreté parisienne. Un juge est nommé. Matelin est arrêté.

L’aveu en approchant d’Esbly

Sans lui révéler la raison de son arrestation, le juge emmène Matelin en gare de l’Est et lui fait prendre un train.
À mesure que la locomotive approche d’Esbly, le magistrat indique qu’ils se rendront « au cimetière ».

Matelin interroge : « Pourquoi ? » — question qui laisse penser qu’il sait déjà la réponse.
Soudain, encore dans le train, il avoue :

« C’est moi qui l’ai tué. Je lui ai fait croire que je lui avais trouvé une place de régisseur, mais qu’il fallait 500 francs de caution : rien n’était vrai, je voulais juste son argent. »

La gare de l’Est en 1880

Un meurtre d’une grande brutalité

Lors du procès, Matelin se présente barbu, négligé et souffrant de phtisie (tuberculose).

Il raconte comment il avait emmené Oudin dans les bois en prétendant que le château où il devait travailler se trouvait à trois kilomètres de la gare. Sous sa blouse, il cachait une petite cordelette d’un mètre, nœud déjà préparé.

Une fois isolé, il lui passe la corde autour du cou pour l’étrangler. Oudin résiste.
Matelin :

  • pose son genou sur la poitrine de sa victime,
  • tire la corde pendant près de dix minutes,
  • jusqu’à ce que l’homme s’étouffe.

Il lui vole alors 617 francs, attache le corps au tronc et repositionne la corde autour du cou pour simuler un suicide.

Avec cet argent, il paye son logeur, dilapide le reste dans des cabarets et bals publics et rentre ivre-mort le lendemain.

Le juge salue publiquement la persévérance de Mme Oudin, sans qui l’affaire serait restée un mystère.

La gare d’Esbly vers 1900

Le verdict : la guillotine

L’avocat de la défense peine à plaider.
La cour délibère puis rend son verdict : Matelin est condamné à avoir la tête tranchée en place publique.

Dans les jours suivants, il tente de faire commuer sa peine, invoquant sa tuberculose.
Un médecin le contredit : son cas « n’est pas désespéré », il peut vivre encore des années.

Alors Matelin cesse sa comédie et attend sa mort avec une étonnante sérénité.

Le 31 octobre 1888, sur la place de la Roquette à Paris, il marche d’un pas ferme vers l’échafaud.
Les témoins diront qu’il est mort « courageusement ».

La place de la Roquette à Paris en 1891

Au-delà du fait divers, cette affaire de faux suicide révèle un pan de la France de la fin du XIXᵉ siècle, où la parole des femmes pesait peu et où les enquêtes se fermaient vite. Sans l’obstination de Mme Oudin, le mystère du pendu d’Esbly serait sans doute resté irrésolu.

Merci à Christophe Hondelatte et Europe 1 d’avoir déterré cette vieille affaire de presque 140 années.

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